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Gaufre de manioc, émulsion de taro : la gastronomie française à l’heure africaine

Le moment est joyeux et presque historique. Ce 31 août, chez Kin (pour « Kinshasa »), restaurant marseillais semi-gastronomique aux inspirations congolaises, ils sont quatre chefs d’origine africaine à s’activer en cuisine sur des vieux hits de hip-hop. Il y a là Hugues Mbenda, le patron de cet établissement phocéen au plafond ponctué de fougères et aux murs décorés de caractères bassa. Mais aussi, les cheveux protégés par un foulard en wax, la médiatique Anto Cocagne, alias « Le Chef Anto », qui vient d’ouvrir Baraka, une épicerie fine dans le 15e arrondissement de Paris. Sans oublier Patrick N’Diaye, aux commandes du bistronomique Okra, à Bordeaux, et Senda Waguena, qui pilote la table Racines, à Etretat (Seine-Maritime).
Ils préparent, à huit mains, le repas du soir : gaufre de manioc croustillante ; poireaux fondants à la mousse de parmesan fumé ; raviolis de canard posés comme en apesanteur sur une émulsion de taro, un délicieux légume racine. L’exercice devrait en toute logique virer à la cacophonie et aux empoignades, mais tout se passe en douceur, comme si ces cuisiniers qui travaillent ensemble pour la première fois se connaissaient depuis longtemps.
« On parle le même langage, s’enthousiasme Senda Waguena. Quand je bosse avec des chefs européens, il faut un bon mois pour s’organiser. Là, on s’est accordés sur un menu précis hier, et tout roule. Hugues, qui m’a donné un coup de main pour mes assiettes, savait d’instinct que je voulais les assaisonner avec du poisson fumé plutôt que du sel, et parfumer mes ravioles avec de l’oignon, du gingembre, de l’ail et du piment – un mélange de base dans la cuisine d’Afrique de l’Ouest. Et, évidemment, je n’ai pas eu à lui expliquer ce qu’était le taro ! »
Les quatre chefs sont réunis à l’initiative de Vérane Frédiani, qui les observe dans la salle en sirotant un gin congolais au poivre. Cette autrice et documentariste fête ce soir-là la publication de son dernier ouvrage, L’Afrique cuisine en France (Ed. de La Martinière, 272 pages, 29,90 euros), pour lequel elle a parcouru l’Hexagone et mené des interviews fleuves avec vingt chefs. Georgiana Viou (étoilée à Nîmes), Jules Niang (patron de Petit Ogre, à Lyon) et d’autres talents sont attendus parmi les invités.
« Ces professionnels d’origine africaine ont longtemps été éclipsés par des ténors, qui sont encore majoritairement des hommes blancs, observe Vérane Frédiani. Or, aujourd’hui, c’est aussi cette diaspora qui écrit un nouveau chapitre de la gastronomie française. Ses représentants ont du mal à rayonner, car les banques ne misent pas sur eux. De ce fait, ils n’ont pas le budget pour investir dans un établissement ni payer un photographe pour bien présenter leurs plats ni une attachée de presse. »
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